Philosophie de construction de portefeuille : de l’immobilier pour un portefeuille de placement bien conçu

Par : Robert Hall, CPA, CFA, Premier directeur des opérations du Bureau familial Richter, un Bureau Familial | d’Affaires. Robert est responsable des placements immobiliers privés et des services administratifs du Bureau familial Richter.

Article paru initialement dans le magazine Espace Montréal, volume 33, #2, 2024.

L’immobilier est souvent considéré comme un placement solide qui ne peut que prendre de la valeur, mais peu d’attention est accordée à ses nombreuses particularités qui peuvent influencer son résultat ou son rôle dans un portefeuille de placements. Cette catégorie d’actifs peut apporter beaucoup à un portefeuille de placements en contribuant à sa diversification et constitue souvent une source de rendement qui peut compléter d’autres placements ou stratégies du portefeuille. L’immobilier présente toutefois certaines caractéristiques dont les investisseurs doivent être conscients avant d’investir dans cette catégorie d’actifs. Avant de décider d’investir, les professionnels du secteur examineront les différents types de biens immobiliers, comment et où y accéder, et leur complémentarité par rapport à leurs autres placements. Ces considérations ne sont pas toujours évidentes pour l’investisseur moyen.

Tous les biens immobiliers peuvent sembler homogènes, mais en pratique, ce n’est pas le cas. Ce segment est varié. De nombreux facteurs influencent le résultat et il faut en tenir compte avant de déterminer si un placement immobilier est adapté à son portefeuille.

CONSTRUCTION GÉNÉRALE D’UN PORTEFEUILLE – CATÉGORIES D’ACTIFS TRADITIONNELLES ET NON TRADITIONNELLES

L’exposition à différentes catégories d’actifs est l’une des pierres angulaires d’un portefeuille de placements bien conçu. Elle permet d’assurer une diversification appropriée du portefeuille. Les catégories d’actifs n’évoluent pas toutes dans la même direction en même temps; ce concept financier est connu sous le nom de corrélation. Certains actifs sont plus positivement corrélés – c’est-à-dire qu’ils ont tendance à évoluer dans la même direction, à la hausse ou à la baisse, en même temps – tandis que d’autres sont plus négativement corrélés, c’est-à-dire qu’ils ont tendance à évoluer dans des directions opposées. L’exposition à différentes catégories d’actifs, comme les actions et les obligations, par exemple, permet généralement de réduire au minimum la volatilité globale du portefeuille et d’obtenir un meilleur profil de rendement ajusté au risque. C’est pourquoi les investisseurs et les gestionnaires de portefeuille chevronnés ont tendance à mettre davantage l’accent sur le « rendement ajusté au risque » lorsqu’ils investissent. Il s’agit d’un calcul du taux de rendement qui tient compte du degré de risque d’un placement, mesuré par rapport à la volatilité ou à la fluctuation du prix de ce placement. Comme la corrélation de l’immobilier avec le marché boursier a été très faible ou négative ces 15 dernières années,[1] les investisseurs devraient obtenir de meilleurs rendements ajustés au risque en augmentant leur exposition à l’immobilier.

Les investisseurs raisonnent généralement en fonction de trois catégories d’actifs traditionnels : les actions, les obligations ainsi que la trésorerie et les équivalents de trésorerie. Les investisseurs institutionnels ont habituellement recours à une quatrième catégorie d’actifs, les actifs non traditionnels, c’est-à-dire des actifs qui n’entrent pas dans les trois catégories d’actifs traditionnelles, parce qu’ils se comportent différemment ou présentent des caractéristiques de placement uniques. Il existe de nombreux types d’actifs non traditionnels et les actifs réels, dont l’immobilier, sont l’un d’entre eux. Les autres types ou sous-catégories d’actifs non traditionnels comprennent, entre autres, le capital-investissement, les titres de créance privés ou le crédit privé, les fonds de couverture et les produits de base.

Les actifs non traditionnels ont tendance à être illiquides. L’immobilier privé est un parfait exemple d’actif illiquide, car les biens sont parfois difficiles à vendre ou à convertir en liquidités. En effet, il arrive qu’une transaction de vente prenne plusieurs mois. En revanche, l’immobilier coté en bourse ou inclus dans un fonds négocié en bourse (FNB) ou dans une fiducie de placement immobilier (FPI) cotée en bourse sont liquides (c’est-à-dire facilement négociables). Ces placements se comportent de la même manière que les autres actions négociées sur des marchés publics. C’est pourquoi ils sont souvent inclus dans la catégorie des actifs boursiers.

L’immobilier privé est traditionnellement divisé en quatre sous-catégories : les immeubles de bureaux, les immeubles de commerces de détail, les immeubles industriels (collectivement, ces trois types d’immeubles sont connus sous le nom d’immeubles commerciaux) et les immeubles résidentiels, décomposés en trois sous-catégories : les maisons individuelles, les immeubles en copropriété et les immeubles multifamiliaux, communément appelés logements locatifs ou appartements. Ces quatre sous-catégories sont le moyen le plus courant d’investir dans l’immobilier privé. Les acteurs du secteur les appellent parfois « les quatre groupes alimentaires de l’immobilier ». Cependant, au fil de l’évolution des placements immobiliers, de nouveaux secteurs immobiliers commencent à prendre de l’importance. Les installations d’entreposage en libre-service, les soins de santé et sciences de la vie (installations de recherche et développement), les centres de données (pour répondre à la demande croissante d’infonuagique et d’intelligence artificielle), les hôtels et l’accueil (hébergements de courte durée et séjours prolongés) sont quelques exemples des nouveaux secteurs immobiliers dans lesquels il est possible d’investir. Enfin, certains projets d’infrastructure comportent une composante immobilière. Il est toutefois difficile pour les particuliers d’investir dans l’infrastructure, car le coût d’accès à ces projets est élevé (imaginez ce que cela représente de posséder un aéroport ou une installation de gestion des déchets!), alors que les biens immobiliers sont généralement plus facilement accessibles en raison de leur niveau de prix inférieur, de leur plus grande disponibilité et de leur variété. Pour ces raisons, la plupart des portefeuilles gérés par des professionnels comprennent une plus grande part d’immobilier que les projets d’infrastructure. L’accès aux transactions et les facteurs de valeur potentiels sont également des variables à prendre en compte lors de la construction d’un portefeuille immobilier, de même que l’emplacement géographique, la phase de développement et le type de sous-secteur. Il s’agit d’un sujet plus vaste qui sera approfondi dans un prochain article de notre équipe chez Richter.

Les investisseurs institutionnels suivaient traditionnellement ce qu’on appelle le modèle d’investissement 60/40, dans lequel 60 % de leurs actifs étaient investis en actions et les 40 % restants en obligations. Au cours des trois dernières décennies, le modèle 60/40 a progressivement évolué pour tenir compte de la catégorie relativement nouvelle des actifs non traditionnels. Les placements des investisseurs institutionnels dans les actifs non traditionnels, y compris l’immobilier privé, sont passés de 6 % en 1999 à 22 % en 2009 [2] , et sont demeurés stables depuis lors, pour s’établir à 23 % en 2023. [3]  Les actifs non traditionnels représentent généralement une part moins importante des actifs d’un investisseur fortuné, de l’ordre de 9,1 % en 2022, selon un rapport de Cerulli Associates publié en 2023,[4] mais cette part devrait augmenter à l’avenir, à mesure que ces investisseurs se familiariseront avec cette catégorie d’actifs et que celle-ci sera plus facilement accessible par les canaux de marketing des banques et des courtiers. Qu’est-ce qui explique cette différence entre les institutions et les investisseurs fortunés? Les institutions sont régies par des comités de placement expérimentés qui approuvent les politiques de répartition de l’actif, tandis que les particuliers fortunés déterminent eux-mêmes leur tolérance au risque à l’égard de l’immobilier; il existe donc une forte variabilité dans la part d’immobilier détenue par les particuliers fortunés en fonction de leur perception ou de leur « ressenti » à l’égard de l’immobilier en tant que placement.

Une fois qu’un investisseur a décidé d’ajouter de l’immobilier à son portefeuille, doit-il investir dans de l’immobilier coté en bourse ou de l’immobilier du secteur privé? Contrairement à l’immobilier du secteur privé, les FPI cotées en bourse ont une forte corrélation, d’environ +0,80 sur une échelle de –1,0 à +1,0 selon Alternatives by Franklin Templeton. [5] Contrairement à l’immobilier du secteur privé, les FPI cotées en bourse ont une forte corrélation, d’environ +0,80 sur une échelle de –1,0 à +1,0 selon Alternatives by Franklin Templeton avec le marché boursier américain. Autrement dit, les FPI ont généralement tendance à gagner ou à perdre de la valeur en même temps que le marché boursier américain, ce qui offre moins d’avantages de diversification lorsqu’elles sont ajoutées à un portefeuille d’actions cotées en bourse. À l’inverse, le remplacement des FPI cotées en bourse par des biens immobiliers du secteur privé devrait profiter à l’investisseur, puisque la corrélation des FPI privées avec le marché boursier américain est de -0,28, ce qui offre de meilleurs avantages de diversification. Selon le rapport « Why Real Estate Now » de Hines publié en février 2024, pour la période de 10 ans terminée en décembre 2022, un portefeuille composé de 20 % de placements directs dans l’immobilier, 50 % d’actions et 30 % d’obligations a généré des rendements supérieurs à ceux d’un portefeuille composé de 60 % d’actions et 40 % d’obligations. Il en a été de même pour les périodes d’un an, de trois ans, de cinq ans et de dix ans.[6]  L’immobilier public et privé ont tous deux un rôle à jouer dans un portefeuille, mais la pondération appropriée de chacun d’eux dépend des objectifs et des besoins de l’investisseur.

L’IMMOBILIER ET LE PORTEFEUILLE DE PLACEMENTS INSTITUTIONNELS

Les investisseurs institutionnels obtiennent généralement une exposition au marché immobilier de trois façons. Premièrement, en achetant des actions immobilières, des FPI ou des FNB cotés en bourse qui sont facilement accessibles puisqu’ils sont négociés sur un marché boursier, mais qui sont tributaires de l’humeur du marché et soumis au risque idiosyncrasique de la société immobilière sous-jacente. Deuxièmement, en souscrivant à des fonds immobiliers gérés par des professionnels qui investissent dans l’immobilier privé. Dans ce cas, le gestionnaire de fonds sélectionne les biens immobiliers. Troisièmement, en investissant directement dans l’immobilier privé ou dans des placements directs dans l’immobilier.  À l’inverse, pour les investisseurs particuliers, les actions, les FPI ou les FNB cotés en bourse représentent le choix le plus courant en raison de leur facilité d’accès et de mise en œuvre. L’immobilier privé leur est souvent inaccessible en raison des montants de placement minimal imposés par les gestionnaires de portefeuilles dans le cas d’un placement dans un fonds privé ou du coût de propriété élevé dans le cas d’un placement direct.  L’immobilier privé est également moins volatil que les marchés immobiliers publics, car son évaluation n’est pas influencée à court terme par l’humeur du marché, mais plutôt par les mesures financières et les modèles d’évaluation utilisés par les évaluateurs tiers agréés pour évaluer les biens immobiliers du secteur privé. À plus long terme cependant, les rendements des placements immobiliers publics et privés ont tendance à converger, car les rendements de l’immobilier privé accusent un retard par rapport à ceux du marché des FPI cotées en bourse[7]

Outre les quatre principaux sous-secteurs de l’immobilier, à savoir les immeubles de bureaux, de commerces de détail, industriels et résidentiels, l’immobilier est également subdivisé en fonction de son étape de développement ou de son niveau de risque perçu. Il existe quatre grands profils risque-rendement : de base, de base plus (base+), à valeur ajoutée et opportuniste. L’immobilier de base présente généralement un profil risque-rendement attendu plus faible et constitue un placement plus prudent, tandis qu’à l’autre extrémité, le rendement attendu des actifs qui entrent dans le profil opportuniste tend à être plus élevé et ces actifs sont considérés comme plus risqués. Il s’agit d’un continuum de profils risque-rendement qui s’étend du profil de base au profil opportuniste. De plus, le niveau de risque est représenté par les niveaux d’endettement utilisés. L’immobilier de base présente habituellement des niveaux d’endettement plus élevés (ce qu’on appelle l’« effet de levier »), tandis que le niveau d’endettement ou effet de levier de l’immobilier opportuniste est habituellement plus faible. En effet, les prêteurs prêtent plus volontiers de l’argent pour l’immobilier de base, moins risqué, et sont moins enclins à prêter pour l’immobilier opportuniste.

Les actifs immobiliers de base génèrent habituellement un revenu locatif net constant, car les biens sont plus récents et nécessitent moins de dépenses en immobilisations, leurs locataires sont de grande qualité et leur taux d’occupation plus élevé. À l’autre extrémité, les actifs immobiliers opportunistes productifs de revenus présentent habituellement des taux d’occupation plus faibles (c.-à-d. un taux d’inoccupation plus élevé) et un revenu locatif net plus faible, car ces biens font l’objet d’importantes rénovations ou d’un repositionnement – par exemple, la conversion d’un immeuble de bureaux en complexe résidentiel, la démolition d’un ancien bâtiment industriel et l’aménagement d’un nouveau bâtiment industriel ou la rénovation importante d’un bien existant en vue de son repositionnement sur le marché. Autre exemple d’actif opportuniste : un bien comptant très peu de locataires et nécessitant d’importantes améliorations. Les nouveaux aménagements immobiliers sont également des exemples d’immobilier opportuniste. Les actifs de base+ sont généralement des immeubles de rapport bien loués, dont les immobilisations nécessitent peu d’améliorations, mais qui sont occupés par une base de locataires sous-optimale. L’immobilier à valeur ajoutée comprend les immeubles de rapport dont les immobilisations ont besoin d’améliorations plus importantes ou d’une nouvelle stratégie de marketing.

À mesure que l’immobilier monte sur l’échelle des risques, le rendement provient moins du revenu locatif net et plus des gains en capital sur la création de valeur. Comme le revenu est imposé à un taux plus élevé que les gains en capital, les investisseurs qui recherchent le traitement fiscal accordé aux gains en capital auront tendance à investir dans les profils de risque plus risqués que sont l’immobilier à valeur ajoutée et l’immobilier opportuniste. En revanche, les gains en capital réalisés à la sortie d’un bien immobilier de base sont généralement peu importants, de sorte que le flux de rendement est davantage axé sur le revenu, qui est généralement imposé à un taux plus élevé.

Il est clair que la question de savoir s’il faut investir ou non dans l’immobilier dépend vraiment de l’appétit pour le risque de l’investisseur, des possibilités qui s’offrent à lui et du type de placement présenté. De nombreux facteurs doivent être pris en compte pour faire le meilleur choix pour son portefeuille, mais en fin de compte, il est évident qu’un placement immobilier bien pensé et bien étudié peut être un bon complément à un portefeuille de placements bien diversifié.

 

Cet article n’est publié qu’à titre d’information et ne doit pas être considéré comme un conseil de placement. Il est préférable de discuter de votre situation personnelle avec votre conseiller pour obtenir des conseils adaptés à votre portefeuille. 

[1] https://www.clarionpartners.com/insights/private-re-investing-macro-uncertainties

[2] https://www.benefitscanada.com/canadian-investment-review/alts/the-evolution-of-alternative-investments/

[3] https://institutional.fidelity.com/app/proxy/content?literatureURL=/9909125.PDF

[4] https://www.cerulli.com/reports/us-high-net-worth-and-ultra-high-net-worth-markets-2022

[5] https://www.alternativesbyft.com/why-commercial-estate

[6] Rapport Hines : “Why Real Estate Now”. Émis en février 2024.

[7] Nareit Real Estate Working for you – 03/04.2022