Dans les manchettes | Espace | Sarah Benammar | Les fiducies propriétaires de biens immobiliers
Sarah Benammar, CPA, CGA, LL. M. Fisc., Première Directrice
Au début des années 2000, à la fin des années 1990 et bien avant cela, il a été conseillé à de nombreux investisseurs canadiens et étrangers de mettre en place des fiducies canadiennes ou étrangères pour acquérir des placements immobiliers au Canada.
Parmi d’autres motifs, les fiducies constituaient alors un véhicule attrayant pour la détention de biens immobiliers d’un point de vue fiscal. En effet, elles n’étaient pas assujetties à l’impôt provincial sur le capital et, dans le cas des fiducies étrangères, les règles sur la limitation de la déductibilité de certaines dépenses d’intérêts ne s’appliquaient pas. Malgré le fait que ces avantages fiscaux ne soient plus applicables, les investisseurs ont, de nos jours, toujours recours à des fiducies pour acquérir des biens immobiliers, que ce soit pour une question de protection d’actifs ou à des fins de planification successorale dans un contexte familial.
Ces fiducies qui ont été constituées à la fin des années 1990 et au début des années 2000 sont aujourd’hui dans l’obligation de faire face à une conséquence fiscale imminente, laquelle, dans certains cas, n’avait pas été prise en considération lors de leur mise en place. Cette conséquence fiscale, communément appelée la « Règle des 21 ans », a pour effet qu’une disposition réputée des biens détenus par une fiducie survienne lors du 21ième anniversaire de la création de ladite fiducie, ainsi qu’à tous les 21ième anniversaires subséquents. Cette disposition réputée qui, par ailleurs, n’a d’effet qu’à des fins fiscales, générera un gain en capital calculé en utilisant la juste valeur marchande du bien au moment du 21ième anniversaire. Cette règle s’applique à la plupart des fiducies résidentes du Canada et aux fiducies étrangères imposables au Canada, et vise principalement à éviter un report indéfini de l’impôt sur le revenu lié à l’augmentation de la valeur des biens de la fiducie. Dans le cas où cette disposition réputée ne peut être évitée et selon le coût d’acquisition des biens de la fiducie et de leur juste valeur marchande au moment du 21ièmeanniversaire de la fiducie, un gain en capital peut donner lieu à une facture d’impôt considérable, et cela, sans produit de vente pour financer cette facture d’impôt. Compte tenu de l’augmentation probable de la valeur résultant d’une longue période de détention, de revenus locatifs accrus et d’une compression du taux de capitalisation actuel, les impôts à payer peuvent être élevés et peuvent avoir comme effet de forcer les investisseurs à prendre des décisions non souhaitées concernant la détention de leurs biens afin de pouvoir défrayer cette facture d’impôt.
Prenons pour exemple une fiducie résidente du Canada qui a été mise en place le 1er novembre 1998. Peu après cette date, la fiducie fait l’acquisition d’un immeuble commercial au Québec pour 10 millions de dollars. Dans cet exemple, la fiducie a été utilisée en partie pour des raisons fiscales, puisqu’à l’époque, elle n’était pas assujettie à la taxe sur le capital imposée par le gouvernement provincial.
Vingt et un ans plus tard, le seul bien de la fiducie, soit l’immeuble commercial, vaut maintenant 30 millions de dollars. En présumant qu’aucune planification n’ait été envisagée pour atténuer les effets de la Règle des 21 ans, la fiducie sera réputée, le 1er novembre 2019, avoir disposé du bien immobilier à la juste valeur marchande de 30 millions de dollars et l’avoir acquis de nouveau pour le même montant. Cette disposition réputée engendrera un gain en capital de 20 millions de dollars qui sera assujetti à un taux d’imposition fédéral et provincial combiné de 27 %, résultant ainsi en une dépense d’impôt d’environ 5,4 millions de dollars. Avec des liquidités insuffisantes pour couvrir cette obligation, la Règle des 21 ans peut se révéler être une très mauvaise surprise.
Il est fortement conseillé d’envisager certaines planifications fiscales avant l’application de la Règle des 21 ans. Toute planification doit commencer par un examen, par votre conseiller fiscal, des droits et obligations des fiduciaires à l’égard des bénéficiaires de la fiducie.
Planifications proposées
Distribution des biens
En règle générale, une fiducie peut distribuer ses biens à un(e) ou plusieurs bénéficiaires en franchise d’impôt, et ce, même si leur valeur a augmenté pendant la période de leur détention par la fiducie. Les biens en question seront ensuite détenus directement par les bénéficiaires, et les gains latents seront imposables lorsque les bénéficiaires en disposeront ou lorsque les biens détenus par un bénéficiaire seront réputés avoir été disposés en raison du décès du bénéficiaire.
Même si, à priori, cette option peut sembler simple, elle n’est pas nécessairement souhaitable. À titre d’obstacle potentiel, tout transfert d’un bien immobilier d’une fiducie à un bénéficiaire peut entraîner des droits de mutation immobilière étant donné les nouvelles règles visant les contrats de prête-nom. Toutefois, la distribution d’un bien d’une fiducie à une société bénéficiaire, par opposition à un particulier bénéficiaire, peut donner lieu à des économies d’impôt sur les revenus locatifs annuels. Ceci étant donné que les sociétés peuvent être imposées à un taux d’environ 27 % dans certaines situations impliquant des non-résidents, plutôt qu’au taux d’imposition de 53 % applicable aux particuliers et aux fiducies. Ainsi, lorsque cette option est envisagée dans un contexte immobilier, une analyse coûts-avantages examinant les économies d’impôt annuelles et le coût ponctuel lié aux droits de mutations immobilières serait requise.
Que ce soit pour se protéger contre les créanciers ou pour des raisons de confidentialité, certains propriétaires peuvent se montrer réticents à ce que des particuliers bénéficiaires deviennent personnellement propriétaires d’un bien immobilier, particulièrement dans des cas où l’acte de fiducie prévoit uniquement des distributions de capital à des particuliers. Dans une telle situation, il est important de s’assurer que l’acte de fiducie soit suffisamment souple pour permettre le transfert des biens à une société bénéficiaire. Si l’acte de fiducie n’offre pas une telle souplesse, il est possible de le modifier. Cependant, une telle modification nécessitera une analyse des conséquences fiscales potentielles et peut-être même l’intervention d’un tribunal.
De plus, certains types de fiducies, communément appelées « fiducies avec droit de retour », ne peuvent bénéficier de la distribution de biens en franchise d’impôt en faveur de leurs bénéficiaires. En résumé, les règles relatives aux fiducies avec droit de retour s’appliquent si les biens de la fiducie peuvent retourner au constituant de la fiducie, ou si le constituant exerce un certain contrôle sur les distributions. Il est donc essentiel d’examiner rigoureusement l’acte de fiducie et l’historique de la fiducie lorsque vient le temps de sélectionner la stratégie à adopter relativement à la Règle des 21 ans.
Participations dévolues irrévocablement
Une exception à la Règle des 21 ans est prévue lorsque toutes les participations dans les biens de la fiducie sont dévolues irrévocablement et qu’au plus 20 % des bénéficiaires de la fiducie sont des non-résidents. La participation d’un bénéficiaire dans une fiducie est considérée comme étant dévolue irrévocablement si le bénéficiaire détient la participation de manière absolue, inconditionnelle et que celle-ci ne peut être révoquée par des événements passés ou futurs. En d’autres termes, les participations sont considérées comme dévolues irrévocablement lorsque la participation de chacun des bénéficiaires est fixe et que les fiduciaires n’ont aucun pouvoir discrétionnaire pour modifier les participations. Un examen minutieux de l’acte de fiducie doit être effectué pour déterminer si les fiduciaires sont autorisés à prendre une telle mesure.
Dans l’éventualité où l’acte de fiducie ne prévoit pas cette option, il est possible de le modifier au moyen de documents légaux, appelés résolutions, afin que les participations de la fiducie soient dévolues irrévocablement. Cependant, une telle modification risque d’engendrer une modification des modalités de la fiducie, ce qui pourrait déclencher une disposition réputée à la juste valeur marchande des biens de la fiducie au niveau fiscale.
De plus, même si les bénéficiaires ne sont pas personnellement propriétaires du bien détenu par la fiducie, le pourcentage de leur participation qui fait l’objet d’une dévolution irrévocable est un droit qui est identifiable et quantifiable, c’est-à-dire qu’il a une certaine valeur. Par conséquent, cette participation constitue donc un actif entièrement exposé aux créanciers du bénéficiaire en question. Il est donc fortement recommandé d’obtenir l’avis de professionnels avant de mettre en œuvre cette stratégie.
Application de la Règle des 21 ans
On pense souvent à tort que toutes les fiducies qui font face à la Règle des 21 ans doivent en éviter l’application. Or, il existe plusieurs situations pour lesquelles il est judicieux de laisser simplement les biens de la fiducie subir la disposition réputée et de payer l’impôt sur le revenu qui en résulte.
À titre d’exemple, dans le cas où la perte d’un locataire clé entraînerait une diminution de la valeur du bien immobilier, l’application de la Règle des 21 ans pourrait n’engendrer aucune facture d’impôt. Une telle possibilité surviendrait si la diminution de la valeur était suffisamment importante pour avoir comme effet de créer une perte ou à tout le moins un gain nul. Ainsi, toute planification visant à éviter les effets de la Règle des 21 ans serait, dans ce cas, inutile. Dans une telle situation, la fiducie continuerait tout simplement de détenir le bien sans conséquence fiscale, et ce, jusqu’à la vente du bien ou jusqu’à l’application d’une nouvelle disposition réputée 21 ans plus tard. Dans ces circonstances, il est fortement recommandé d’obtenir un rapport d’évaluation auprès d’un évaluateur de biens immobiliers pour appuyer la diminution de valeur, sachant que les autorités fiscales risquent fortement de contester la juste valeur marchande utilisée aux fins de l’application de la Règle des 21 ans.
Dans un contexte familial, une fiducie peut avoir été constituée afin de détenir des biens au nom d’un(e) ou de plusieurs particuliers bénéficiaires qui ont des problèmes de santé mentale, qui sont irresponsables sur le plan financier ou qui risquent d’être poursuivis en justice ou de faire l’objet de réclamations. Dans de telles situations, il peut être recommandé d’appliquer la Règle des 21 ans et de payer l’impôt sur le gain en capital latent, et ce, afin que la fiducie puisse continuer à détenir les biens pour le bien-être des bénéficiaires.
Si la fiducie se charge de payer l’impôt, il est important de s’assurer qu’elle possède suffisamment de liquidités. Autrement, il est possible de faire un choix fiscal pour permettre à la fiducie de payer l’impôt exigible en 10 versements annuels égaux. Toutefois, une sûreté doit être fournie aux autorités fiscales et des intérêts seront chargés sur l’impôt différé.
La planification en vue de l’application d’une disposition réputée est complexe, et les options proposées ci-dessus ne conviennent pas nécessairement à toutes les fiducies. L’analyse des différentes options peut prendre du temps, et il est souvent recommandé et même nécessaire d’examiner les incidences de la Règle des 21 ans plusieurs années à l’avance. Pour ces raisons, il est fortement recommandé aux fiduciaires d’obtenir des avis professionnels auprès de leur conseiller fiscal avant de prendre des décisions.