Le retour de la rivalité entre grandes puissances et ses conséquences

Le monde est témoin de nombreux conflits militaires simultanés. Au-delà des pertes humaines déjà tragiques, il existe une réelle possibilité d’expansion régionale de ces guerres. Outre les conflits armés, il existe d’importantes tensions entre des pays comme les États-Unis et la Chine, et au sein de nations (p. ex., le fossé entre républicains et démocrates aux États-Unis). Comment les guerres actuelles sont-elles susceptibles d’évoluer? Qu’est-ce qui changerait à l’échelle nationale et internationale si Trump revenait à la Maison-Blanche? Comment les investisseurs devraient-ils envisager ces questions clés du point de vue de leur portefeuille?

En avril dernier, Richter a tenu une discussion intéressante entre Matt Gertken, Ph. D., stratège en chef, stratégie géopolitique et stratégie politique américaine à BCA Research, et Tony Keller, chroniqueur au Globe and Mail, au sujet du retour de la rivalité entre grandes puissances et ses répercussions. Voici quelques faits saillants de leur conversation.

La discussion sur la rivalité entre grandes puissances a mis en évidence un retour des stratégies géopolitiques gouvernementales qui marque un changement important par rapport aux tendances à la mondialisation de la fin du XXe siècle. Dr Gertken a laissé entendre que la rivalité entre grandes puissances a toujours été la norme, surtout depuis le Traité de Westphalie en 1648, qui a solidifié le concept des États-nations. Cette rivalité a refait surface malgré un hiatus après la dissolution de l’Union soviétique en 1991, lorsque le moment unipolaire des États-Unis semblait incontesté. L’ère de la mondialisation sans douleur s’est terminée avec la Grande Récession, lorsque les grandes puissances se sont recentrées sur la demande intérieure et ont commencé à accorder la priorité à la sécurité nationale et à la souveraineté par rapport à la mondialisation économique.

Ce changement a été accéléré par la méfiance stratégique et des dilemmes en matière de sécurité, illustrés principalement par les tensions constantes entre les États-Unis et la Russie au sujet de l’expansion de l’OTAN, et les États-Unis et la Chine au sujet de la technologie et de Taïwan. Le conflit entre Israël et l’Iran résume davantage la renaissance de la géopolitique traditionnelle, où la puissance militaire et l’influence stratégique sont essentielles.

Hypomondialisation : une nouvelle réalité économique

Le terme « hypomondialisation », tel qu’il a été créé par Dr Gertken, fait référence au contexte économique mondial actuel caractérisé par une intégration économique réduite et un nationalisme accru. Cette phase est distincte de l’ère précédente de l’« hypermondialisation » ainsi que du scénario du pire d’une démondialisation à grande échelle. Elle laisse entrevoir un ralentissement de la mondialisation et une transformation de l’ordre économique mondial. L’augmentation des obstacles au commerce, le réexamen des chaînes d’approvisionnement et la réduction des investissements étrangers directs sont des indicateurs de cette tendance.

L’hypomondialisation est le reflet d’un monde où les États mettent de plus en plus l’accent sur les industries et la technologie nationales pour assurer leur sécurité économique et la stabilité sociale, mais au détriment de la compétitivité. La guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine illustre ce changement, alors que les deux pays réévaluent leurs politiques économiques afin de réduire leur dépendance, ce qui pourrait compromettre leur autonomie stratégique.

Populisme et nationalisme : influences sur la politique à l’échelle mondiale

La résurgence du populisme et du nationalisme refaçonne la politique à l’échelle mondiale en influençant les politiques intérieures et extérieures des pays. Dr Gertken a expliqué comment ces idéologies poussent les pays à adopter des politiques protectionnistes et/ou militaristes, ce qui mine la coopération internationale et les structures de gouvernance mondiale.

Cette tendance est visible dans les mouvements politiques montants en Russie, en Chine, aux États-Unis, en Europe et dans d’autres parties du monde qui accordent la priorité à l’identité nationale et nourrissent souvent un scepticisme à l’égard des accords et des institutions multinationales. L’impact de ces mouvements est profond, car ils influencent des décisions politiques stratégiques, allant de l’immigration au commerce, et remodèlent les alliances et les politiques internationales.

La trajectoire future des relations internationales

Dr Gertken est d’avis que les interactions entre la rivalité  des grandes puissances, l’hypomondialisation et la montée du populisme définiront le futur paysage géopolitique. Le risque de conflits augmente à mesure que les pays adoptent des politiques régionales et mondiales énergiques pour protéger leurs intérêts.

Toutefois, il reste des possibilités de diplomatie et de coopération internationale, surtout au moment où les États doivent faire face aux conséquences néfastes de la trajectoire actuelle.

D’abord, en raison de la réapparition de la menace d’un conflit nucléaire, les grandes puissances seront incitées à négocier des règlements diplomatiques pour éviter des hostilités directes.

Ensuite, tant que des conflits armés majeurs seront évités, les politiciens devront coopérer dans une certaine mesure pour préserver la croissance économique et la stabilité sociale. Cela exigera des solutions pragmatiques en matière de commerce et d’investissements transfrontaliers. Mais il y a peu de chances qu’une accélération majeure de la mondialisation se produise à court terme – et il est tout aussi probable que l’hypomondialisation se détériore davantage pour aboutir à une véritable démondialisation.

Relations entre les États-Unis et la Russie : un problème permanent

La conversation sur les relations entre les États-Unis et la Russie a été particulièrement poignante, compte tenu de la guerre en Ukraine, du dernier plan bipartite d’aide militaire américaine et des menaces nucléaires russes. Dr Gertken a souligné comment les tendances historiques de méfiance et de rivalité ont refait surface en Europe de l’Est, lesquelles rappellent la guerre froide, mais sont compliquées par l’émergence du déclin économique à long terme de la Russie et son alliance croissante avec la Chine.

L’annexion de la Crimée et le conflit dans l’est de l’Ukraine illustrent les ambitions stratégiques de la Russie de reprendre son influence à l’étranger et sa volonté de contester l’expansion de l’OTAN par l’Occident. Le résultat est le contraire, à savoir l’expansion de l’OTAN pour inclure la Finlande et la Suède, un divorce économique important entre l’UE et la Russie, une forte probabilité de poursuite du déclin économique et de l’instabilité sociale de la Russie à long terme et par conséquent, un réarmement de l’Europe.

Cette dynamique entre grandes puissances est compliquée davantage par la technologie et la cyberguerre, des domaines où les règles d’engagement ne sont pas clairement définies et où divers pays cherchent activement à renforcer leurs capacités défensives et offensives.

Rivalité entre les États-Unis et la Chine : pas de détente véritable en vue

La tentative des États-Unis de faire un virage stratégique vers l’Asie n’était pas seulement une idée, mais une nécessité dictée par la montée de la Chine en tant que puissance mondiale.

Dr Gertken a discuté de la façon dont l’engagement initial des États-Unis avec Chine, visant à l’intégrer au système économique mondial, s’est transformé en une rivalité entre grandes puissances alors que les États-Unis devenaient de plus en plus distraits et divisés pendant que la Chine commençait à convertir sa prospérité en capacité stratégique.

Les problèmes vont des déséquilibres commerciaux et du vol de propriété intellectuelle aux tensions militaires au sujet de la Corée, de Taïwan et de la mer de Chine méridionale. Cette rivalité n’est pas seulement une question de domination économique, mais aussi d’intérêts idéologiques et de sécurité, les deux pays cherchant à étendre leur influence en Asie et ailleurs.

Les différends sont suffisamment importants pour que les relations se détériorent avant de s’améliorer. Une nouvelle entente stratégique devra être négociée, avec des engagements concrets pour assurer sa mise en œuvre et c’est loin d’être le cas en 2024. Dans le meilleur des cas, cela pourrait se produire en 2027-2028, mais c’est hautement hypothétique.

Union européenne : entre intégration et souveraineté

La réponse de l’Europe à ces changements mondiaux est particulière en raison de sa structure de gouvernance supranationale. Dr Gertken a parlé de la façon dont l’Europe est écartelée entre une intégration plus poussée, qui est nécessaire pour exercer de l’influence sur la scène mondiale, et la montée des sentiments nationalistes au sein des États membres, qui préconisent une plus grande souveraineté et un pouvoir local. La façon dont l’UE a géré le Brexit, la crise migratoire et les disparités économiques entre ses membres illustrent cette tension. De plus, la réduction de la dépendance énergétique de l’Europe à l’égard de la Russie et les pressions récentes en faveur d’une autonomie stratégique vis-à-vis des États-Unis mettent en lumière la position complexe de l’UE dans la structure des puissances mondiales.

Personne pointant avec un stylo des graphiques sur du papier

Répercussions des changements géopolitiques sur les investissements

Dr Gertken a expliqué que le virage vers l’hypomondialisation et le retour de la rivalité entre grandes puissances ont des conséquences économiques importantes, qu’il s’agisse de déficits budgétaires plus importants, de fluctuations des prix de l’énergie et des tarifs commerciaux, ou encore de réalignements des chaînes d’approvisionnement mondiales. Les investisseurs et les entreprises font face à un nouveau paradigme où l’évaluation des risques géopolitiques est cruciale pour la prise de décisions d’investissement et la planification stratégique.

Le risque géopolitique ne nécessite pas des perspectives de placement continuellement « baissières ». Mais cela nécessite un positionnement défensif dans le contexte actuel où les ratios boursiers sont élevés et le marché du travail ralentit.

Pays émergents : des occasions au milieu de la tourmente

Bien que l’accent soit souvent mis sur les grandes puissances, les pays émergents présentent des occasions et des défis importants en cette nouvelle ère géopolitique. Des pays comme l’Inde et le Brésil traversent ces changements mondiaux en tirant parti de leurs avantages économiques et démographiques pour jouer un plus grand rôle sur la scène mondiale. Cependant, ils font également face à des défis internes liés au populisme et à la volatilité économique qui pourraient avoir une incidence sur leur trajectoire.

En général, Dr Gertken adopte une approche constructive à l’égard du monde émergent, en particulier l’Inde, l’Asie du Sud-Est et l’Amérique latine.

Progrès technologiques et incidences sur la sécurité

Comme Dr Gertken l’a souligné, les progrès technologiques demeurent des points focaux de la rivalité entre grandes puissances. La course à la supériorité technologique, en particulier dans des domaines comme l’énergie nouvelle, l’intelligence artificielle, l’informatique quantique et la cybersécurité, entraîne des répercussions profondes sur les politiques budgétaires, la compétitivité industrielle et les politiques commerciales.

Ce champ de bataille technologique consiste à promouvoir l’industrie, à sécuriser les chaînes d’approvisionnement, à protéger la propriété intellectuelle et à tenter d’établir des normes pour l’utilisation des technologies émergentes. Du soutien budgétaire et la concurrence internationale pourraient générer des innovations et améliorer la productivité, mais des distorsions entre les économies et les marchés prendront aussi forme, ce qui réduira l’efficacité à l’échelle mondiale.

Cybersécurité : une arène de guerre moderne

Dans le domaine de la cybersécurité, les menaces évoluent rapidement, les acteurs étatiques et non étatiques exploitant des capacités asymétriques, l’absence de normes internationales et de nouvelles vulnérabilités numériques pour en tirer un avantage. Dr Gertken a expliqué que les cyberconfrontations entre les États-Unis et la Russie et les accusations d’ingérence électorale ne sont que la pointe de l’iceberg. Il y a un incitatif pervers pour que les pays mettent à l’épreuve leurs limites et leurs capacités mutuelles dans le cyberespace, ce qui augmente le risque que cette rivalité se propage dans le monde réel, affecte les infrastructures essentielles et entraîne des menaces de représailles militaires conventionnelles.

De même, la pression exercée par la Chine pour devenir un chef de file dans le domaine de la technologie 5G n’est pas seulement une décision économique, mais aussi un effort stratégique pour façonner l’infrastructure mondiale des télécommunications, ce qui soulève des préoccupations parmi les décideurs américains et européens au sujet de la protection de la vie privée, de la sécurité et de la surveillance. La combinaison du succès commercial et de l’ambition stratégique de la Chine poussent les Américains à imposer d’autres restrictions qui divisent graduellement le monde en sphères d’influences opposées.

Astropolitique : le rôle de l’espace

L’espace est devenu une nouvelle frontière durant la guerre froide. Aujourd’hui, elle devient une arène de rivalité commerciale et géopolitique en expansion. Des pays comme les États-Unis, la Russie, la Chine et l’Inde ainsi que des entités privées se disputent un avantage.

Les États-Unis, la Russie et la Chine échangent de plus en plus de menaces au sujet de la militarisation de l’espace. L’absence totale de normes de comportement crée de fortes probabilités d’erreurs et d’affrontements. Les grandes puissances finiront peut-être par élaborer des règles d’engagement qui empêcheront une concurrence effrénée, mais l’histoire porte à croire que ces règles s’élaboreront après, et non avant, des crises qui menaceront de déstabiliser l’ordre mondial.

Si l’on ne trouve pas de solutions diplomatiques aux conflits géopolitiques, ces conflits pourraient se dérouler avec de nouvelles armes dans l’espace et sur la Terre. La prolifération des systèmes de missiles balistiques a déjà mené au premier incident de guerre dans l’espace, lorsque, le 31 octobre 2023, Israël a intercepté un missile balistique lancé par les Houthis, soutenus par l’Iran, à l’extérieur de l’atmosphère terrestre.

Israël et ses alliés ont réussi à se défendre contre un barrage de missiles balistiques iraniens le 13 avril, mais le conflit s’intensifie au lieu de s’apaiser puisque l’Iran cherche à se doter d’une arme nucléaire opérationnelle.

Dans tous les théâtres de rivalité géopolitique, il y aura de nouveaux investissements dans la défense antimissile ainsi que dans les capacités spatiales et cybernétiques.

Défis environnementaux et répercussions géopolitiques

Enfin, les questions environnementales sont de plus en plus reconnues comme des éléments essentiels de la sécurité nationale. Premièrement, les régimes craignent pour leur survie si la désindustrialisation et/ou les catastrophes naturelles augmentent les troubles sociaux, de sorte qu’ils subventionnent des énergies alternatives. Deuxièmement, les États ne peuvent pas se permettre de passer à côté d’innovations majeures dans le domaine des technologies énergétiques, car cela réduirait leur sécurité. En même temps, une transition énergétique trop rapide peut engendrer ce que les États veulent éviter, à savoir des troubles sociaux.

La lutte pour des ressources comme les minéraux de terres rares dont les industries de haute technologie ont besoin renaît en tant qu’aspect important des relations internationales.

Préparer un avenir dynamique

Les éléments importants de cette conversation avec Matt Gertken donnent un aperçu général de la dynamique qui façonne l’environnement géopolitique. Alors que les investisseurs traversent une période de turbulence, la capacité des pays à s’adapter et à relever ces défis de façon productive déterminera si le monde se dirige vers la paix et la prospérité ou vers la guerre et la pauvreté.

Pour les entreprises et les investisseurs, ces éléments sont essentiels pour gérer les risques et cerner les possibilités dans un monde en évolution rapide. Les interactions entre la géopolitique, la macroéconomie, la technologie et l’environnement continueront de dicter l’évolution de l’ordre mondial, ce qui exigera une approche vigilante et adaptative de la part de toutes les parties concernées et pourrait créer un contexte économique et un contexte de placement plus difficile dans les années à venir.

 

Les points de vue et opinions exprimés dans le présent article sont uniquement ceux des collaborateurs et ne reflètent pas nécessairement la politique ou la position officielle de Richter. Ces renseignements sont fournis à titre d’information seulement et ne doivent pas être interprétés comme des déclarations ou des endossements officiels de Richter.