Gestion des litiges dans les fusions et acquisitions

Les fusions et acquisitions (F&A) ont connu une activité importante entre 2021 et début 2023, stimulées par divers facteurs tels que des taux d’intérêt bas, un excès de liquidités chez les investisseurs en capital-investissement, la reprise des transactions après l’incertitude initiale liée à la Covid, et un retour à des conditions économiques d’avant Covid, voire une exagération de ces conditions. En conséquence, les valorisations ont atteint des niveaux sans précédent. Une fois l’euphorie passée, les prévisions commerciales et les conditions économiques sont revenues à la normale, et dans certains cas, les flux de trésorerie attendus après clôture ne se sont pas réalisés comme prévu. Cela a souvent provoqué des regrets chez l’acheteur (et parfois chez le vendeur), entraînant des litiges liés aux ajustements postérieurs à la clôture et aux déclarations faites durant la transaction. Cet article explore les facteurs contribuant à l’augmentation des litiges post-acquisition et présente des stratégies pour les minimiser.

Domaines courants de litiges dans les transactions F&A

Les litiges sur le prix post-acquisition surviennent lorsqu’il y a désaccord entre acheteur et vendeur sur les paiements à effectuer après la clôture. Les principales sources de litiges sont :

Ajustements du fonds de roulement : Les litiges surgissent fréquemment en raison d’incohérences dans le calcul du fonds de roulement à la date de clôture et dans la fixation du fonds de roulement cible. Le vendeur doit fournir un fonds de roulement « normal » à la clôture afin d’assurer une liquidité suffisante pour l’acheteur après la transaction. Lors des négociations, les parties conviennent d’une méthodologie acceptable pour déterminer le fonds de roulement cible. Bien que ce processus ne soit pas une science exacte, il implique souvent l’analyse des tendances historiques, des résultats financiers prévisionnels et de la saisonnalité de l’entreprise. Toute différence entre le fon

ds de roulement réel à la clôture et le fonds cible entraîne un ajustement équivalent, dollar pour dollar, du prix final. Dans la convention d’achat (Sale and Purchase agreement ou SPA), le fonds cible doit être défini clairement, mais il est souvent déterminé à la dernière minute sans compréhension complète des implications méthodologiques par les deux parties. Le SPA inclut fréquemment une clause stipulant que le fonds de roulement doit être calculé « conformément aux principes comptables généralement reconnus (PCGR), en cohérence avec les pratiques historiques ». Les PCGR sont un ensemble de normes comptables qui décrivent généralement les méthodologies admissibles compte tenu d’un ensemble de faits; ils ne sont pas, et ne sont pas censés être, prescriptifs dans leur utilisation. Par exemple, différentes parties peuvent traiter les dispositions relatives à l’obsolescence des stocks en utilisant des méthodologies alternatives qui peuvent aboutir à des conclusions très différentes. Les méthodes alternatives peuvent toutes deux être autorisées par les PCGR. Par conséquent, il ne suffit pas de s’appuyer uniquement sur les PCGR pour traiter la question. Les PCGR doivent être examinés dans le contexte des pratiques antérieures. Les problèmes surviennent souvent lorsque la question n’a jamais été abordée auparavant ou lorsque les pratiques antérieures n’étaient pas conformes aux PCGR. Il est vrai que de nouvelles questions peuvent ne pas être abordées dans le calcul de l’objectif ou entre les parties ; cependant, ces questions devraient être minimales après une vérification préalable complète. Dans les cas où les pratiques antérieures ne sont pas conformes aux PCGR, la meilleure pratique consiste à identifier ces questions et à convenir de leur traitement lors de la fixation du fonds de roulement cible à la clôture de l’opération.

Paiement des contreparties conditionnelles : Souvent, une partie du prix dépend des performances futures de l’entreprise acquise (earn-out). Ces paiements conditionnels sont généralement évalués selon des critères financiers tels que revenus, Bénéfice Avant Intérêts, Impôts et Amortissements(BAIIA), croissance attendue ou budget. Les litiges naissent souvent d’un désaccord sur l’interprétation ou l’application de ces critères. Une fois vendue, l’acheteur contrôle pleinement les opérations, et toute modification opérationnelle à court terme peut nuire aux paiements conditionnels tout en étant bénéfique à long terme. Ces changements doivent être discutés avant la clôture et exclus du calcul si nécessaire. Le vendeur doit se protéger en définissant clairement ce qui est inclus ou non dans ces calculs.

Violation des déclarations et garanties : Les déclarations et garanties sont des affirmations contractuelles du vendeur sur l’état, la performance et la conformité légale de l’entreprise vendue. Des litiges surgissent si ces déclarations se révèlent inexactes après la vente, notamment sur des passifs non divulgués, des erreurs dans les états financiers, des fausses déclarations concernant les contrats clients/fournisseurs et l’état physique des installations et machines. L’assurance des déclarations et garanties est devenue cruciale pour traiter ces problèmes.

Violation des accords de non-concurrence et de confidentialité : Ces clauses limitent la capacité du vendeur à concurrencer l’entreprise acquise, solliciter d’anciens employés ou divulguer des informations confidentielles. Des litiges peuvent surgir si ces clauses sont enfreintes.

Stratégies pour minimiser les litiges dans les transactions F&A

Pour minimiser les litiges, il est essentiel d’adopter une approche proactive et collaborative, basée sur une diligence approfondie, des contrats d’achat clairs, une communication efficace et l’implication de conseillers spécialisés.

  • Diligence raisonnable approfondie
    Une diligence raisonnable exhaustive est essentielle afin d’identifier rapidement les risques potentiels, les responsabilités et les points de litige éventuels dans le cadre du processus transactionnel. Une diligence raisonnable rigoureuse permet aux parties d’évaluer l’exactitude des états financiers, d’apprécier la qualité des actifs et des passifs, et de révéler toute problématique non divulguée pouvant influencer la transaction. Les parties devraient recourir aux services de professionnels chevronnés, incluant des conseillers juridiques, des conseillers financiers, des comptables, ainsi que des spécialistes sectoriels et techniques, afin de réaliser des examens diligents approfondis et d’identifier d’éventuels signaux d’alarme.

 

  • Conventions d’achat claires et détaillées
    La rédaction de conventions d’achat claires et détaillées est essentielle pour minimiser l’ambiguïté et réduire les risques de litiges. Les conventions d’achat doivent traiter en détail des éléments clés tels que les ajustements du prix d’achat, les déclarations et garanties, les clauses d’indemnisation, les mécanismes de résolution des différends et les obligations postérieures à la clôture. Les parties devraient mandater des conseillers juridiques expérimentés afin de rédiger des conventions d’achat reflétant fidèlement leurs intentions et protégeant efficacement leurs intérêts.

 

  • Définitions claires
    La convention d’achat doit préciser explicitement quel référentiel comptable régira la préparation des états financiers ainsi que les ajustements éventuels postérieurs à la clôture. Il s’agit notamment d’indiquer si les PCGR, une version spécifique des PCGR ou des politiques comptables historiques seront utilisés. En cas de divergence par rapport aux PCGR, cette problématique devrait être identifiée durant le processus de diligence raisonnable, et des solutions acceptables pour toutes les parties devraient être négociées avant la clôture de la transaction.

 

  • Concordance et ajustement
    Si des politiques comptables historiques doivent être utilisées, la convention d’achat peut exiger une concordance avec les PCGR à des fins de diligence raisonnable. Ceci permet à l’acheteur de comprendre les différences et de prendre des décisions éclairées.

 

  • Exemples illustratifs
    Il est préférable d’inclure, à titre de bonne pratique, des annexes à la convention d’achat détaillant le calcul du fonds de roulement ainsi que le calcul de toute contrepartie conditionnelle.

 

  • Communication et collaboration efficaces
    Une communication ouverte et une collaboration étroite entre l’acheteur et le vendeur permettent de prévenir les malentendus et de renforcer la confiance. Les parties devraient privilégier des discussions transparentes, divulguer les informations pertinentes et répondre rapidement aux préoccupations afin d’éviter que les différends ne s’aggravent. L’établissement dès le départ de canaux de communication clairs et la définition d’attentes réalistes favorisent une relation de travail positive entre les parties, réduisant ainsi les risques de conflits.

Rôle des conseillers et experts indépendants dans la résolution des litiges

Malgré tous les efforts déployés, il arrive que des différends surgissent après une acquisition. Bien souvent, une discussion ouverte entre les parties, appuyée par des conseillers juridiques et financiers, permet de trouver un terrain d’entente. Toutefois, dans certains cas, les enjeux ne peuvent être réglés à l’amiable et il devient nécessaire de recourir aux mécanismes prévus dans la convention d’achat-vente. Les conseillers et les experts indépendants jouent alors un rôle crucial pour faciliter la résolution des différends et garantir une issue juste et équitable pour toutes les parties concernées. Les responsabilités clés comprennent notamment:

  1. Obtenir un deuxième avis. Il est fortement recommandé d’obtenir une seconde opinion d’un expert indépendant. Fréquemment, les parties initialement impliquées dans le différend adoptent des positions rigides dont elles peinent à se détacher. Un regard neuf peut apporter une réelle valeur ajoutée à la discussion en offrant une perspective différente sur le sujet. Les experts indépendants possédant des connaissances spécialisées en comptabilité, audit, évaluation et transactions sont en mesure de fournir une analyse objective et impartiale des éléments en litige. Selon les besoins spécifiques, ces experts indépendants peuvent jouer un rôle consultatif tout au long du processus, ou intervenir de manière plus active en tant qu’expert décisionnel ou arbitre.
  2. Identifier clairement les points en litige. Le moment n’est pas venu de rouvrir entièrement le processus de négociation ni de réévaluer la valeur globale de la transaction. Souvent, les parties accumulent des frustrations ou ressentiments durant le processus et tentent de profiter du différend pour ajuster le prix convenu. Les arguments vagues ou trop généraux n’apportent aucune valeur. À l’inverse, des arguments clairs, concis et étayés faciliteront la résolution en permettant de bien cibler les enjeux.
  3. Médiation et arbitrage. Les conseillers peuvent faciliter les démarches de médiation ou d’arbitrage afin de résoudre les différends efficacement et à moindre coût. La médiation consiste à recourir à une tierce partie neutre pour guider les échanges entre les parties et les aider à parvenir à un règlement mutuellement satisfaisant grâce à un dialogue constructif. L’arbitrage, quant à lui, implique la soumission du litige à un arbitre ou à un comité arbitral indépendant, qui rendra une décision contraignante en se fondant sur les preuves et les arguments présentés par chaque partie. La convention d’achat-vente précisera clairement les modalités du processus de règlement des différends. Lors du choix du médiateur ou de l’arbitre, il est primordial de sélectionner une personne disposant d’une solide expertise en comptabilité, en évaluation d’entreprise, en transactions et en règlement de litiges.

À propos des auteurs :

Vimal Kotecha MBA, CPA, CA, EEE, CFF, Associé au sein du groupe Évaluation d’entreprises, Juricomptabilité et Services-conseils transactionnels (EJT) chez Richter agit comme consultant, expert et arbitre dans divers litiges post-acquisition. Son expérience en comptabilité, valorisation et transaction permet d’identifier rapidement les problèmes et de proposer des actions claires et précises.

Danish Khan, CPA, EEE, Vice-président au sein du groupe Conseil en Transactions chez Richter. Grâce à son expérience variée en comptabilité publique, évaluations d’entreprises et conseil transactionnel, Danish joue un rôle essentiel dans les transactions de vente.