Communiquer avec doigté pour porter de mauvaises nouvelles
Chaque mois, nous discutons avec un associé de Richter pour découvrir comment les dirigeants trouvent l’équilibre et la concentration nécessaires pour occuper un emploi exigeant, et quelles sont les compétences non techniques qui contribuent à leur succès.
Même les entrepreneurs les plus avisés connaissent des moments difficiles susceptibles de mettre en péril leur entreprise. Mais, pour que cette mauvaise passe se transforme en phase de croissance et non en catastrophe, il faut être en mesure de reconnaître les signaux d’alerte et de prendre des mesures décisives. Comment les conseillers professionnels s’y prennent-ils pour faire face à ces situations et aborder des sujets délicats? Nous avons demandé au consultant Fred Fuchs, de nous faire part de ses conseils pour gérer les réactions des clients lorsque nous n’avons pas de bonnes nouvelles à leur apprendre, tout en assurant une présence constante pour eux.
Vous entretenez des liens étroits avec de nombreux clients et en avez aidé plusieurs à traverser des tempêtes sur le plan financier. Comment vous y prenez-vous pour gérer les réactions de clients qui sont pleins d’espoir lorsque leur réalité est tout autre?
Fred Fuchs (FF) : À mon avis, il faut tenir compte de deux aspects : quels services offrons-nous au client et comment nous assurons-nous qu’ils correspondent à ses priorités? Nous devons être honnêtes envers nos clients et trouver une solution ensemble. Dans des moments difficiles, nous soutenons nos clients en nous concentrant sur leurs besoins immédiats, notamment en matière de services bancaires, de flux de trésorerie, etc. et les aidons à traverser les étapes. Nous pouvons nous joindre à eux lorsqu’ils communiquent avec leur banque et tenter d’obtenir le portrait le plus global possible de la situation. Ainsi, lorsque nous présentons nos recommandations au client, nous pouvons y souscrire totalement et être certains qu’elles constituent la meilleure solution pour lui. Nous mettons tout en œuvre pour les aider à traverser la tempête en s’appuyant sur notre expertise.
Nous nous assurons également d’établir un plan d’action pour les étapes à venir. Notre cabinet est privilégié de pouvoir compter sur des associés qui, à partir de là, peuvent intervenir pour la restructuration. Ils ont affaire à ce genre de situations délicates sur une base quotidienne et, grâce aux relations qu’ils ont établies avec les banques, ils peuvent aider nos clients à bien comprendre les options qui s’offrent à eux. Nous pouvons également compter sur des spécialistes de l’immobilier, du commerce de détail, de la fabrication, etc. qui sont prêts à appuyer les clients en période de crise.
Au début des années 1990, j’ai travaillé sur des dossiers d’insolvabilité qui n’étaient pas de tout repos. Les clients subissent parfois beaucoup de stress et ne pensent qu’aux états financiers qu’ils doivent présenter à leur banquier, alors que leurs états financiers ne sont jamais la cause fondamentale de leurs problèmes. Il y a quelques années, nous avons eu à faire face à un audit pénible et le client se trouvait manifestement dans une position difficile. Nous avons demandé au client pourquoi nous devions consacrer autant d’efforts sur les états financiers, alors qu’il devrait se concentrer sur les activités. S’il voulait s’en sortir, il devait s’orienter dans cette direction. Nous nous mettons toujours à la place du propriétaire. Combien de fois avons-nous rencontré des clients qui ne parlent que des données financières? Il faut parfois aborder d’autres facettes d’une entreprise, ainsi que la restructuration.
J’ai pu constater, après toutes ces années, que certains clients ne veulent tout simplement pas entendre les mauvaises nouvelles et croient qu’ils en savent plus que nous. Il faut l’accepter et accepter que certains vont traverser la tempête et d’autres pas, malheureusement. Cependant, nous présentons toujours un portrait représentatif de la situation financière d’une entreprise. Et dans certains cas, nous faisons appel aux associés spécialisés en insolvabilité.
« Nous ne racontons pas d’histoires. Nous avons des conversations franches. »
Selon vous, devons-nous faire preuve de délicatesse en annonçant de mauvaises nouvelles? Ou vaut-il mieux dire les choses comme elles sont?
(FF) : Personnellement, je crois qu’il faut fouetter le client! C’est une blague! Mais tout de même avec un fond de vérité : le client doit obtenir l’heure juste. Nous ne racontons pas d’histoires. Nous avons des conversations franches. Nous présentons nos constatations, passons en revue les données financières et, au moment venu, nous posons des questions ou donnons des conseils : certains clients peuvent avoir besoin de financement par exemple. La plupart des gens vous respecteront davantage si vous faites preuve de franchise. Bien entendu, certains clients ne veulent pas accepter la réalité, mais tant pour nous-mêmes que pour nos clients, il faut miser sur l’honnêteté. Lorsque je donne les chiffres, certains clients ne sont pas d’accord. Mais ce sont les chiffres véridiques, à partir desquels nous pouvons tous travailler de concert afin de trouver une nouvelle approche.
Si un membre de votre équipe vous soumet un problème ou un enjeu, quel genre d’aide lui offrez-vous?
(FF) : Cela dépend de la situation, mais s’il s’agit d’un problème avec des états financiers ou d’un enjeu technique, nous en discutons ensemble. Je n’essaie pas de donner une réponse d’entrée de jeu; je laisse la personne trouver la réponse. Parfois ça se corse, alors nous devons regarder les chiffres ensemble. Mais, la plupart du temps, lorsque je sais pertinemment qu’ils peuvent trouver la réponse, je leur donne les outils pour y arriver plutôt que de leur donner la réponse toute faite.
Comment arrivez-vous à motiver les troupes pour qu’elles demeurent concentrées lorsque les choses vont moins bien ou que toute l’équipe est extrêmement occupée?
(FF) : La seule façon de s’en sortir est de se serrer les coudes, d’aider chaque membre de l’équipe sur une base individuelle. Je m’assure que les employés, peu importe leur niveau, aient ce dont ils ont besoin. Ils savent qu’ils peuvent compter sur moi en tout temps. Évidemment, mes interventions sont différentes avec chaque personne. Les attentes ne sont pas les mêmes pour toutes, mais elles ont toutes besoin qu’on leur accorde du temps à certaines étapes. Si quelqu’un n’a jamais travaillé dans un dossier, je vais prendre le temps qu’il faut pour lui apprendre. C’est ainsi que je redonne au suivant d’une certaine manière : quelqu’un m’a appris, alors c’est à mon tour de transmettre mes connaissances aux nouveaux venus. Lorsque j’ai commencé dans le métier, nous faisions tout sur papier. Un directeur m’a alors guidé à chacune des étapes. Il aimait dire que nous faisions du bricolage! En effet, nous devions agrafer des feuilles, coller, photocopier, et j’en passe! Mais c’est un passage obligé pour apprendre! Et j’aime bien enseigner aux nouveaux.
Quel est le meilleur conseil d’affaires que l’on vous ait donné?
(FF) : Mon père me disait toujours : l’honnêteté est la meilleure politique. Même si la vérité ne fait pas toujours plaisir à entendre, on gagne toujours à être honnête envers les clients et les membres de l’équipe. Et si une journée se passe mal, ne déversez pas votre fiel sur votre équipe. Soyez franc : dites que ça va mal, que quelque chose vous inquiète et les gens vont comprendre.
Aussi, n’essayez pas de couvrir les faits. Les chiffres ne mentent pas. Tout ce que nous voulons, c’est chercher dans le passé des données qui pourront être utiles pour prévoir l’avenir.