Arrangements entre propriétaires et locataires : conséquences fiscales importantes
Par* Martin Gilbert, LL. B., Vice-Président, Fiscalité, Richter
Avec l’assistance de Harvey Sands, CPA, CA, IAS, Conseiller, Richter
Cet article a été publié précédemment et a été révisé depuis pour refléter la situation actuelle au Canada en 2020.
Compte tenu de la pandémie actuelle, les propriétaires d’immeubles commerciaux reçoivent des demandes ou des ordonnances d’insolvabilité, aux termes desquelles ils doivent offrir différentes formes d’allègement financier à leurs locataires ou faire preuve de tolérance à leur égard.
Les propriétaires d’immeubles peuvent montrer une certaine ouverture relativement à ces demandes afin de conserver un locataire qui bénéficiera d’une restructuration de ses activités et d’une densification des lieux et des locaux pour maintenir un certain taux d’occupation en prévision d’une période de reprise prévue. Comment faire pour composer avec une telle situation?
Les parties se retrouvent dans une situation où elles doivent conjuguer les intérêts du propriétaire et ceux du locataire. Le propriétaire peut être ouvert à l’idée d’offrir un certain allègement à son locataire sans pour autant renoncer aux sommes qui lui sont dues. Le propriétaire de l’immeuble accorde souvent des reports de montants dus aux termes d’obligations locatives existantes et veut conserver son droit de réclamer et de recouvrir ces montants à mêmes les activités futures du locataire dans certaines circonstances.
Évidemment, comme c’est souvent le cas, la solution retenue aura des conséquences sur le traitement fiscal applicable en ce qui a trait à la taxe sur les produits et services (TPS), à la taxe de vente harmonisée (TVH) et à la taxe de vente du Québec (TVQ). Ces taxes doivent être traitées de manière à permettre le recouvrement des taxes de vente remises par le propriétaire de l’immeuble à l’égard des loyers non perçus qui ont été reportés et qui peuvent faire l’objet d’un recouvrement ultérieur lorsqu’ils ne sont pas radiés de façon permanente à titre de créances irrécouvrables.
Voici quelques situations fréquentes lors desquelles la TPS/TVH et la TVQ doivent être prises en considération.
Dans le texte ci-dessous, toute référence au « propriétaire » d’un immeuble peut également désigner, selon les circonstances, son gestionnaire lorsque ce dernier agit à titre de mandataire, ou encore l’entrepreneur désigné dans les cas de coentreprises.
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Le propriétaire accepte un montant de loyer inférieur à celui qui a été convenu dans le bail et laisse les loyers en souffrance s’accumuler.
Cette façon de procéder peut avoir des conséquences non souhaitables en ce qui a trait à la TPS/TVH et à la TVQ.
En effet, il faut garder à l’esprit qu’en vertu de la Loi sur la taxe d’accise (LTA) et de la Loi sur la taxe de vente du Québec (LTVQ), le fournisseur (c.-à-d. le propriétaire de l’immeuble) est tenu de verser la TPS/TVH et la TVQ relatives aux montants qui sont dus par le locataire en vertu de la convention écrite (c.-à-d. le bail), et ce, peu importe le montant réellement payé par le locataire. C’est donc dire que le propriétaire qui accepte de laisser des montants en souffrance s’accumuler se trouvera dans une situation où il aura à verser un montant de taxes supérieur à celui qu’il aura perçu réellement.
Il faut aussi remarquer que, du point de vue de l’acquéreur (c.-à-d. le locataire), celui-ci aura le droit de réclamer un crédit ou un remboursement de taxe sur les intrants (CTI/RTI) relativement à la taxe devenue payable au cours de sa période de déclaration, et ce, peu importe que ce montant ait été payé ou non par le locataire.
Il est important pour le propriétaire de bien comprendre cette dynamique au moment de discuter d’un arrangement éventuel avec son locataire.
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Le propriétaire consent à une réduction de loyer de manière prospective.
Étant donné que cette façon de procéder n’implique pas d’ajustement rétroactif, le propriétaire devra simplement s’assurer de percevoir et de verser les taxes en fonction du nouveau montant de loyer convenu.
Toutefois, un tel ajustement doit être documenté par écrit (p. ex. au moyen d’un addenda au bail), afin qu’il n’y ait pas de confusion relativement à la valeur de la contrepartie au moment d’une vérification par les autorités fiscales.
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Le propriétaire émet une note de crédit visant à réduire les montants en souffrance.
La LTA et la LTVQ prévoient qu’un fournisseur peut rembourser ou créditer la TPS/TVH et la TVQ initialement exigées pour une fourniture si la contrepartie de celle-ci est par la suite réduite dans les quatre ans suivant la date de la fourniture.
Dans de telles circonstances, le propriétaire peut apporter un ajustement dans sa déclaration de TPS/TVH et de TVQ et ainsi récupérer les taxes relatives au montant crédité à son locataire. Toutefois, afin de pouvoir se prévaloir de cette disposition d’allègement, le propriétaire doit émettre une note de crédit ou obtenir une note de débit de son locataire contenant les informations prescrites, dans un délai raisonnable.
Les informations prescrites comprennent ce qui suit :
- une mention indiquant que le document est une note de crédit ou une note de débit;
- le nom du fournisseur ou de son intermédiaire ainsi que ses numéros d’inscription de TPS/TVH et de TVQ;
- le nom de l’acquéreur, de son mandataire ou de son représentant autorisé;
- la date à laquelle la note est émise;
- le montant du redressement, du remboursement ou du crédit de taxe pour lequel la note est émise.
Quoique cette solution fournisse l’allègement souhaité aux fins des taxes, la note de crédit ou la note de débit constitue un document attestant que la contrepartie est réduite et que les montants en souffrance ne sont plus exigibles. Un propriétaire désirant conserver son droit de réclamer les montants en souffrance dans certaines circonstances n’atteindra pas son but en émettant une note de crédit sans prendre d’autres mesures visant à protéger sa créance.
Toutefois, l’émission d’une note de crédit combinée à un réaménagement du bail, dans lequel les montants dus par le locataire sont reconnus par les parties, peut constituer une solution intéressante.
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Le propriétaire effectue une radiation d’une mauvaise créance.
Un fournisseur (c.-à-d. le propriétaire) peut déduire un montant dans le calcul de sa taxe nette égal aux fractions de TPS/TVH et de TVQ incluses dans le montant de la créance qui a été radiée. Toutefois, afin que cet allègement soit disponible, les conditions suivantes doivent être remplies :
- le fournisseur a effectué une fourniture taxable, sauf une fourniture détaxée;
- le fournisseur et l’acquéreur n’ont aucun lien de dépendance;
- il est établi que la totalité ou une partie de la contrepartie et de la taxe payable est devenue une créance irrécouvrable;
- le fournisseur radie cette créance de ses livres comptables;
- la totalité de la taxe sur cette fourniture a été incluse dans la déclaration du fournisseur pour la période de déclaration au cours de laquelle la taxe était exigible;
- la totalité de la taxe nette à verser selon cette déclaration a été versée;
- la déduction au titre de la taxe est demandée dans les quatre ans suivant la période de déclaration au cours de laquelle le fournisseur a radié la créance de ses livres comptables.
L’expression « créance irrécouvrable » n’est pas définie dans la LTA ni dans la LTVQ. Toutefois, les facteurs suivants peuvent être pris en compte pour déterminer si une créance constitue une mauvaise créance :
- le délai écoulé depuis l’échéance de la créance;
- la situation financière de l’acquéreur;
- l’historique du compte de l’acquéreur;
- les coûts inhérents au recouvrement par rapport au montant de la créance.
De plus, pour être en mesure de bénéficier du redressement de TPS/TVH et de TVQ, le fournisseur doit démontrer qu’il a effectivement entrepris toutes les démarches raisonnables pour le recouvrement de sa créance auprès de l’acquéreur.
Dans un contexte où le propriétaire continue de faire affaire avec un locataire qui demeure sur les lieux, il semble peu probable que les montants de réduction consentis puissent constituer de mauvaises créances donnant lieu à l’allègement décrit ci-dessus.
Autre considération : le bail entre parties liées
Les options d’ajustements de TPS/TVH et de TVQ sont limitées pour le propriétaire lorsque le locataire est une partie liée qui n’effectue pas de fournitures taxables dans le cadre d’une activité commerciale, comme lorsque le locataire exploite une clinique médicale ou exerce des activités de nature financière (p. ex. une société de portefeuille). En effet, dans de telles circonstances, la contrepartie de la fourniture par le propriétaire (c.-à-d. le loyer) est réputée s’effectuer à la juste valeur marchande (JVM) et cette JVM peut être établie ou ajustée par les autorités fiscales, et ce, même s’il existe une entente entre les parties liées pour une valeur moindre.
Ainsi, dans ces situations, le propriétaire devra verser la TPS/TVH et la TVQ sur la JVM du loyer, peu importe l’entente entre le propriétaire et le locataire.
*La première édition de cet article a été écrite par Martin et Catherine Dickner, CPA, CGA, D. Fisc, Adm., A. Catherine est une ancienne membre de l’équipe Richter.